English site : Chad, Cradle of Humanity ?
voir aussi : les impacts de météorites au Borkou et dans l'Ennedi (Tchad)
L'article suivant (repris en anglais par la revue Anthropologie -voir site en anglais) appelle deux séries de remarques préliminaires :
1) les fossiles.
- La recherche des fossiles dans le Djourab est une activité tout à fait particulière puisque la plupart sont collectés en surface. Ils reposent en général sur des surfaces de grès clairs, voire blancs, ou, reposant sur ces surfaces, ils émergent depuis une mince couche sableuse. Les fossiles découverts ‘in situ’ sont rares et ils ne sont visibles que parce qu’ils émergent depuis la surface du sol.
- Les accumulations de fossiles sont rares sauf lorsqu’il s’agit d’un individu de grande taille (proboscidiens, hippopotames, anthracothères,…) retrouvés en connexion quasi anatomique.
- Conservés dans des grès, ces fossiles sont essentiellement formés de silice. Ce sont en quelque sorte des silex, très résistants aux vents, même de sable, mais plus dépendants des écarts thermiques qui ici peuvent dépasser, en surface, les 50°C quotidiennement avec des baisses de températures la nuit allant jusqu’à des températures négatives.
- Différents sels (de fer, de manganèse) leur donnent souvent des teintes foncées.
En conséquence, les fossiles ne sont guère fragiles et peuvent rester en surface durant des décennies et même des siècles acquérant progressivement un vernis, le vernis désertique, vernis sans épaisseur, transparent, composé de silice amorphe (opale) et produit par des phénomènes de dissolution/précipitation biochimique de solutions de silice (François Soleilhavoup, 2011« Microformes d’accumulation et d’ablation sur les surfaces désertiques du Sahara », Géomorphologie : relief, processus, environnement, vol. 17 - n° 2, 173-186).
Ces conditions font que la recherche des sites fossilifères se fait à partir des véhicules. La région Poitou-Charente avait même offert un ULM, construit dans cette région. Il s’est avéré peu adapté à la recherche des fossiles en raison des conditions atmosphériques difficiles (tel des vents de sable soudains) et parce qu’il mobilisait au sol de nombreuses personnes.
2) les conditions de collecte du crâne, de la mandibule et du fémur de Sahelanthropus tchadensis (Toumaï), objet de cet article.
Après la publication de Toumaï, il est né une polémique. Les fossiles ont-ils été déplacés par leur inventeur ou ont-ils été rigoureusement laissés en place jusqu’à ce qu’ils soient photographiés ? Le 19 janvier 2001, les inventeurs de Toumaï ont eu parfaitement conscience d’avoir fait une découverte exceptionnelle et, comme ils se l’ont répété tout au long de la journée, ils voulaient que ‘le monde entier’ voit le lieu et le crâne tel qu’ils l’ont vu en premier. Seul donc le crâne a été touché avant d’être photographié et le site intégralement respecté. L’emballage du crâne a été fait avec d’infimes précautions destinées à sauvegarder le plus longtemps possible la gangue qui l’entourait partiellement. Ils voulaient que ‘le monde entier’ le voit avec sa gangue et avec son vernis désertique. Le film de la caméra a enregistré le jour, l’heure, les minutes de la prise de vue. Il n’en est pas fait mention dans l’article car les faits paraissaient se suffire à eux-mêmes. Une photographie a été rajoutée avant l’article, c’est une photographie jugée sur le fait comme étant‘ratée’ car incluant l’ombre longue d’un chercheur. Aujourd’hui elle contribue par elle-même à indiquer l’heure matinale de la prise de vue car dans le Djourab en juillet à l’heure méridienne il n’y a pas d’ombre.
Enfin, si les fossiles avaient été déplacés au cours de la matinée, que faudrait-il penser du chercheur qui aurait commis un tel acte et quelle réputation donnerait-il à la qualité de ses pairs africains ?
Par ailleurs quel dommage qu’en laboratoire des photos plus soignées que celles prises dans le désert n’aient pas été réalisées ni que de la gangue soit sauvegardée. Celle-ci aurait d’ailleurs été très utile lors d’une tentative de datation.
Le 19 juillet 2001, la tête de Toumaï (un crâne et une mandibule) et un fémur avaient été trouvés auprès d'un grand nombre de fossiles d'os longs et Alain Beauvilain avait demandé avec insistance à ce que ces os soient expertisés. Il réitérait cette demande dans un article du South African Journal of Science et précisait sur ce site qu'un fémur gauche d'hominidé avait été inventorié. Pourtant, la découverte d'un fémur d'hominidé sur le site de TM 266 n'était toujours pas reconnue.
Voici les photographies exclusives de ces fossiles sur leur lieu de découverte.
Réactions à cet article :
- plutôt qu'une discussion sur le fond, une polémique sur l'heure des photographies avec la revue La Recherche de juillet-août 2009 et, en 2016, le retour à un horaire plus réel, 7 heures du matin ;
- sur le blog du paléoanthropologue américain John Hawks, professeur à l'université du Wisconsin : le 18 mai 2009, commentaire sur la sépulture de Toumaï ; le 03 juillet 2009, les toutes premières photos de ce fémur.
BEAUVILAIN A. et WATTÉ J.-P. (2009) Toumaï (Sahelanthropus tchadensis) a-t-il été inhumé ? Bulletin de la Société Géologique de Normandie et des Amis du Muséum du Havre, tome 96, fasc. 1, p. 19-26.
La 'tombe' de Toumaï, TM266, 2001-07-19 6 heures UTC
(photographie Alain Beauvilain, droits réservés)
Alain Beauvilain (1) et Jean-Pierre Watté (2)
(1) Maître de conférences, Université Paris-Ouest-Nanterre-La Défense.
(2) Docteur en Préhistoire, archéologue honoraire du Muséum du Havre, et UMR 6566 CReAAH, Rennes
In memoriam Fanoné Gongdibé (1962-2007)
RÉSUMÉ
Les documents photographiques de la mise au jour de Toumaï permettent d'établir que cet holotype de l'une des plus anciennes espèces d'hominidés se trouvait probablement au sein d'une sépulture aménagée récemment. L'analyse taphonomique révèle en effet la possibilité de l'existence d'une, voire de deux, inhumation(s) vraisemblablement en rapport avec l'introduction de l'islam dans la région. Deux autres fossiles d'hominidé (un fémur gauche et une mandibule) se trouvaient dans la même « sépulture » avec divers restes de mammifères.
MOTS-CLEFS
Toumaï, Sahelanthropus, nouveaux fossiles, sépulture, fémur.
1 - LE CRÂNE DE TOUMAÏ ET SON CONTEXTE IMMÉDIAT
Le 19 juillet 2001, une équipe composée de trois Tchadiens, Ahounta Djimdoumalbaye, Fanoné Gongdibé, Mahamat Adoum et d'un Français, Alain Beauvilain, responsable de la mission, mettait au jour au coeur du Sahara tchadien, au point dit TM 266, le crâne d'un hominidé, Sahelanthropus tchadensis, alias Toumaï (Beauvilain, 2003). En raison des observations et spéculations scientifiques élaborées depuis cette date (Vignaud P. et al., 2002 ; Lebatard A.-E. et al., 2008), il importe de fixer les conditions taphonomiques et archéologiques de cette découverte et de tenter de les expliquer.
Alors que les fossiles de ce site sont distants les uns des autres, dispersés au hasard et sans concentration de pièces de grande taille, Toumaï faisait partie d'un amas d'ossements. De manière générale, à l'exception de restes appartenant au squelette d'un même individu, les concentrations de fossiles sont rares dans les sites du Djourab. C'est pourquoi les Tchadiens coauteurs de la découverte avaient alors déclaré que cet amas était une « poubelle de paléontologues ». Cette expression ne correspond pas à la réalité. Les « poubelles » de paléontologues, ou de géologues, rencontrées dans cette zone de Toros-Menalla, comme dans celle de KB, sont d'une toute autre nature : ossements brisés, friables, « digérés » par la croûte, non identifiables, avec parfois des tessons de bouteilles de bière ou de dames-jeannes. Jamais un crâne n'aurait pu être abandonné, sauf s'il avait été totalement caché sous sa croûte.
L'examen des figures 1a et 1b permet de proposer une tout autre explication. Sur ces documents, les fossiles colorés en jaune sont ceux qu'Ahounta Djimdoumalbaye et feu Fanoné Gongdibé avaient dans leurs mains au moment de la découverte du crâne. Ceux de droite ont été déposés par Ahounta Djimdoumalbaye, lorsqu'il s'est saisi du crâne, ceux de gauche, deux mandibules et un maxillaire de bovidés, par Fanoné Gongdibé lorsqu'il a rejoint Ahounta dont il n'était distant que de quelques pas. Le crâne a été déplacé pour la photographie, ce qui a entraîné le glissement d'un fragment de tibia (flèches vertes et fossile coloré en vert). Une symphyse de mandibule d'hominidé, à cet instant non reconnue comme telle, a été basculée sur elle-même lors du déplacement du crâne.
(document Alain Beauvilain, droits réservés)
Fig. 1a : TM 266, l'assemblage de fossiles. Une sépulture ? (Photo Alain Beauvilain).
Lors de la découverte, la tête était donc positionnée au nord-est de cet assemblage qui formait deux bandes parallèles (fig. 1a). Ces fossiles, appartenant à de grands mammifères, sont notamment des restes d'os longs, une extrémité distale de fémur, une extrémité proximale de tibia, une diaphyse d'humérus, peut-être un radius, un os long indéterminé cassé en deux, des phalanges. Leur détermination, à partir des photographies, ne permet pas de définir les espèces. De petits fragments d'os sont présents ici et là en ligne avec les os longs. L'érosion ne peut avoir regroupé et aligné autant de fossiles si différents. Ces ossements sont peu encroûtés et certains portent encore un peu de ciment blanc très siliceux. Une diaphyse de fémur gauche d'hominidé est également présente. Sa gangue est comparable à celle du crâne.
L'ensemble formait un quadrilatère d'environ un mètre sur 0,40 mètre. Il était orienté nord-est - sud-ouest.
(document Alain Beauvilain, droits réservés)
Fig. 1b : L'assemblage de fossiles et leur contexte naturel. (Photo Alain Beauvilain).
La figure 1b atteste que ces fossiles n'ont pas été rassemblés
alors que le responsable de l'opération (A. B.) était en train
de collecter des échantillons sur la partie orientale du site.
La surface du sable, ici par la présence de petites accumulations,
là par divers surcreusements liés aux turbulences du vent, est
telle que le dernier vent l'a formée. Aucune trace de mains ou
de pas n'apparaît à l'intérieur du quadrilatère. Les empreintes
de pas contournent largement les fossiles sur trois côtés ; elles
n'apparaissent qu'au premier plan où Ahounta Djimdoumalbaye et
feu Fanoné Gongdibé se sont approchés pour prendre le crâne après
avoir déposé les petits fossiles qu'ils avaient en main. Le crâne
a été déplacé pour effectuer la photographie, ce que montre bien
dans ce secteur les diverses traces de mains et de pas.
La figure 2 montre Toumaï le 19 juillet 2001 à 7 heures 30 T.U.
repositionné avec le plus de soin possible dans sa position initiale
par Ahounta Djimdoumalbaye, licencié en Sciences naturelles. Ce
jour-là, à TM 266 (16° 15' 12'' N ; 17° 29' 29'' E), le Soleil
s'est levé à 4 heures 28 T.U et il était légèrement au sud (au
passage au méridien la hauteur du Soleil était de 85° 28'). En
conséquence, l'ombre indique que le sommet de la boîte crânienne
est orienté à l'est. La mandibule, qui n'a pas encore été déplacée,
apparaît dans le prolongement du crâne. Elle n'est présente qu'incidemment
sur la photographie car, à cet instant, elle n'est pas encore
reconnue comme telle, toutes les attentions étant tournées vers
le crâne. Celui-ci repose sur son côté gauche. Une épaisse couche
de gangue, bleuâtre à l'extérieur, brun noir vers l'intérieur,
protège la boîte crânienne. Selon les endroits, la gangue est
très adhérente au fossile ou au contraire peu adhérente. Un espace
de près de 1 mm l'en sépare alors, occupé par du sable.
Fig. 2 : Toumaï dans le contexte de sa mise au jour le 19 juillet
2001.
En surface, posé sur le sable.
(photographies Alain Beauvilain, droits réservés)
.
Les canines, arasées, ont particulièrement souffert de l'érosion.
Les molaires, par leur position en retrait, ont été moins attaquées.
Les molaires droites sont à peine dégagées de la gangue et leur
couleur est rouge violacé. La symphyse de mandibule d'hominidé
est particulièrement usée. Les dents ont disparu, découvrant les
alvéoles.
Dans le Djourab, l'érosion est caractérisée par la force et la
fréquence de ses vents. Au cours de la très longue saison sèche,
de septembre à juin, l'harmattan souffle de manière quasi permanente
depuis le nord-est. Durant quelques semaines, en juin mais surtout
de la mi-juillet à fin août, la région est atteinte par la mousson,
un flux souvent puissant venant du sud-ouest en direction inverse
de l'harmattan. Aucune végétation ne vient réduire la force de
ces vents dont la puissance érosive est renforcée par la présence
des grains de sable. La gangue et les surfaces osseuses de Toumaï
ont donc été attaquées et polies par les vents. Elles sont aussi
vernissées par cette patine si caractéristique du désert. Celle-ci
est formée par les sels minéraux et l'existence de rosées matinales
fréquentes. Enfin, les écarts de température sont violents dans
cette zone désertique avec des écarts quotidiens à la surface
des roches pouvant largement dépasser les 50° C, les écarts maximum
approchant les 100° C. Il faut aussi prendre en compte, certaines
années, des moments de gel. Ces écarts font éclater gangue et
parties osseuses, notamment les dents.
Néanmoins, si dans le Djourab les agents d'érosion sont forts
et leurs effets bien visibles sur des grès peu consolidés, leur
action n'est perceptible sur les fossiles que dans la longue durée.
En effet, leur résistance à l'érosion est importante car la qualité
de fossilisation des os est remarquable, réalisée essentiellement
avec des sels de silice offrant une dureté et une résistance exceptionnelles.
Il en est de même pour la gangue. Il faut donc des siècles pour
faire disparaître les grosses pièces. De plus, le sable du désert
n'est pas fixe. Il peut donc aussi recouvrir les fossiles sur
de longues périodes et ainsi leur assurer une protection d'autant
plus forte que le milieu est caractérisé par la sécheresse. Ainsi,
dès 2004, une partie du site ayant livré Toumaï a été recouverte
par le sable.
Par ailleurs, aucune trace n'est visible sur le crâne ou sa gangue
de ce ciment blanc, très siliceux et très adhérent aux fossiles,
qui caractérise les autres pièces collectées à TM 266, comme celle
de la mandibule de Sahelanthropus TM 266-02-154-1, et sur un grand nombre d'ossements de la zone
dite de Toros-Menalla. Ces différentes pièces n'ont donc pas strictement
le même âge.
Les figures 3a et 3b montrent respectivement les profils droit
et gauche de Toumaï. Elles ont été prises fin juillet 2001 à N'Djamena.
La comparaison avec les photographies réalisées à l'instant de
la découverte montre que les précautions prises pour assurer la
parfaite conservation du crâne et de sa gangue ont permis un transport
sans dégradation.
Fig. 3 : Toumaï, profil droit (a, en haut) et profil gauche (b, en bas).
Une érosion similaire quel que soit le côté
(photographies Alain Beauvilain, droits réservés).
Les marques de l'érosion sont importantes sur le côté droit du crâne, qui était au jour lors de sa découverte. Plus étonnant, la photographie 3b montre que le côté gauche a été également soumis à l'érosion : dents très usées, plus que celles du côté droit, patine du désert bien présente sur les parties osseuses, face et os pariétal. La gangue, partiellement détruite, y a été amincie. Ses limites sont élimées mais non brisées. Ainsi l'élément couvrant en partie le pariétal est très mince, ce que souligne l'ombre, et de forme circulaire. En surface, la couleurde la gangue est bleutée, comparable à celle du côté droit. Quelques traces de gangue, réduite à une fine pellicule au contact du fossile, sont également bleutées. De la patine apparaît également sur ce côté gauche. Les deux côtés du crâne ont donc été soumis à l'érosion de manière similaire.
Ces gangues se forment dans les terrains sédimentaires dans lesquels
sont compris les os. Ceux-ci créent des discontinuités physiques
sous forme de drains qui vont faciliter la circulation des eaux
et accroître l'importance de l'encroûtement à leur niveau par
la précipitation de sels.
La présence de matière organique fournit une base carbonatée qui
favorise leur formation. Dans la cuvette tchadienne, les gangues
comprennent une part importante d'oxydes de fer, de manganèse
et de silice et forment un « alliage » qui peut se révéler extrêmement
solide. Si Fe2O3 colore les gangues et les fossiles en brun et
rouge et Fe3O4 en vert et gris, les sels de manganèse les colorent
en noir. Ces différents éléments se fixent parfois de manière
préférentielle sur les différentes parties fossilisées des mâchoires,
émail, ivoire, cément, os, donnant à ces restes des colorations
à la fois expressives et esthétiques. Sur une longue période d'exposition,
l'action du soleil et celle de l'oxygène de l'air dégradent ce
noir pour donner une nuance de bleu. C'est pourquoi fréquemment
ce type de gangue apparaît bleu du côté tourné vers le ciel et
noir en profondeur ou face au sol. C'est ce qui explique la couleur
bleutée de la surface de la gangue couvrant Toumaï bien que des
terres rares ou des sels d'uranium puissent donner la même teinte.
Posé sur le sol, dans son lit de sable, le profil gauche du crâne
aurait dû être épargné par l'érosion et de l'exposition au Soleil
et aux vents. Pourtant les photographies attestent que le crâne
a été érodé tant du côté gauche que du côté droit. Le crâne a
donc été retourné.
2 - LA SÉPULTURE DE TOUMAÏ (?)
L'érosion ne peut avoir regroupé et aligné autant de fossiles
si différents. La gangue et le ciment blanc très siliceux qui
couvrent, selon des cas, les fossiles montrent que ces derniers
proviennent de niveaux ou de lieux différents ; les stigmates
d'érosion prouvent que le crâne a été exposé à l'érosion successivement
sur ces deux côtés. La seule hypothèse logique permettant de rendre
compte de la position des ossements est d'admettre qu'ils ont
été collectés et regroupés ; dans cette mesure, le crâne de Toumaï
n'était pas en place. L'emplacement du crâne par rapport aux deux
rangées d'os longs évoque la disposition d'un corps réduit à l'état
de squelette… Cet agencement ne peut être naturel. Compte tenu
de sa configuration, on peut penser qu'il résulte de la volonté
de donner à ces restes l'honneur d'une sépulture. Le squelette
aurait été reconstitué à partir du crâne reconnu comme « humain
». En effet, cette tête, qui a l'apparence d'une tête d'homme,
ne peut laisser indifférent. Dans cette perspective, les auteurs
de cette inhumation, si tel est bien le cas, auraient fait au
mieux, en fonction de leurs connaissances anatomiques et avec
les fossiles d'animaux qu'ils ont pu trouver ici et là et qu'ils
ont confondus avec des os humains, afin de bien rapporter au crâne
les autres éléments de son corps. Ils ont ainsi placé un humérus
près de la tête et l'extrémité distale, bien orientée, d'un fémur
à l'autre extrémité du « cadavre ».
Toumaï aurait donc fait l'objet d'une inhumation à une époque
récente.
Pourquoi une inhumation ? L'abondance des fossiles dans cette
partie du désert fait que si, aujourd'hui, la population les remarque,
elle ne les comprend le plus souvent que comme étant des cailloux
ressemblant à des os d'animaux, notamment à des mâchoires, sans
leur accorder trop d'importance. Les enfants jouent avec. Par
contre, ce crâne si ressemblant à un crâne d'homme ne pouvait
être pris pour un jouet et abandonné aux enfants.
Quels peuvent être les auteurs de cette inhumation ? L'orientation
donnée au 'corps' correspond à celle du quadrilatère actuel, nord-est-sud-ouest.
Cette direction est importante : c'est celle de La Mecque. Cette
inhumation, si tel est bien le cas, pourrait avoir été opérée
par des nomades qui traversent très régulièrement la contrée.
Islamisées depuis le XIe siècle avec la conversion à l'islam des
souverains du premier royaume du Kanem, dont la capitale n'était
alors pas très éloignée du lieu où fut découvert Toumaï, ces populations
avaient comme devoir religieux d'offrir une sépulture décente
à leurs frères humains. En effet, la religion musulmane fait obligation
d'enterrer les cadavres. La tradition précise que le corps doit
être disposé avec la tête orientée en direction de La Mecque (21°
25' N ; 39° 49' E). Faute d'instrument, les croyants prennent
comme orientation la direction du soleil levant qui, à proximité
du tropique du Cancer, est une donnée très variable au cours de
l'année puisqu'elle peut être en direction du nord-est comme du
sud-est. Ceci explique que les musulmans hésitent souvent sur
l'orientation à prendre pour prier. Seule l'étoile Polaire, la
nuit, donne une orientation sûre. Mais comment voici des décennies
ou des siècles les croyants pouvaient-ils être assurés de la bonne
direction de La Mecque ? Il ne faut donc pas s'étonner de l'orientation
de la sépulture, nettement nord-est, direction d'où vient l'harmattan.
Par contre, l'ombre apparaissant sur la photographie 2 atteste
que l'orientation est mieux respectée pour le crâne.
Il est d'ailleurs possible que l'inhumation de ce fossile ait
pu être faite en deux temps. Une première fois, découvrant par
hasard le crâne de Toumaï, dans un geste pieux, des nomades auraient
cherché à retrouver et rassembler les restes de son corps qu'ils
auraient ensuite enterrés. Plus tard, après une nouvelle mise
au jour de ces restes par l'érosion, une réorientation du crâne
aurait été opérée en raison d'une meilleure connaissance de la
position de La Mecque.
L'histoire récente la plus vraisemblable de Toumaï pourrait donc
être celle d'une première inhumation puis, plus tard, un repositionnement
du crâne. En effet, les marques de l'érosion indiquent que le
crâne, mis au jour par l'érosion, a présenté longtemps son maxillaire
face au nord-est, d'où viennent les vents les plus fréquents,
le côté gauche étant vers le ciel. La gangue a alors été très
attaquée et bleuie en surface. Le pariétal a été dégagé tandis
que le maxillaire, et particulièrement les molaires, protégé par
l'épaisseur de la gangue comblant le palais, était épargné de
l'abrasion. C'est dans cette position que le crâne a dû être trouvé
avant d'être inhumé en prolongement anatomique d'autres fossiles
collectés dans le voisinage et disposés en deux bandes parallèles.
Ultérieurement, à nouveau dégagé par l'érosion, quelqu'un a déplacé
le crâne pour orienter son sommet dans une meilleure direction
par rapport à celle de La Mecque. Au cours de l'une ou l'autre
de ces interventions humaines, le côté droit, couvert de gangue,
a été placé face au ciel afin de protéger le côté gauche déjà
très dégradé. Le crâne a été trouvé dans cette position après
que l'érosion ait eu le temps d'attaquer son côté droit. L'hypothèse
que le crâne seul ait pu rouler depuis une première inhumation
ne peut être validée en raison du positionnement des autres fossiles.
La mandibule, parce que séparée depuis longtemps du crâne, vraisemblablement
avant la fossilisation, a été fortement érodée. Elle a dû être
replacée près du maxillaire lors de ce repositionnement.
Ce geste s'inscrit dans le contexte d'une région qui a été longtemps
un lieu de passage car riche en eau souterraine sub-affleurante
et dotée de bons pâturages sous un climat moins aride que l'actuel.
Cette contrée a gardé cette fonction jusqu'au début du XXe siècle
avec notamment la présence à proximité de TM 266 de la zone de
puits d'Am Zao. Ainsi la colonne Largeau (près de quatre cents
hommes et six cents dromadaires) a stationné auprès de ces puits
du 10 au 12 novembre 1913, avant de rejoindre une seconde colonne
venue du Ouadaï pour aller s'emparer d'Aïn Galaka puis de Faya,
Gouro et Ounianga. Le désert ne paraît vide que pour ceux qui
ne le connaissent pas…
3 - CONCLUSION
Quels que soient les détails de l'histoire de ce fossile depuis
que l'érosion l'a mis au jour une première fois, tous les éléments
de terrain indiquent que le 19 juillet 2001 au matin, le crâne
de Toumaï était en surface. Il n'était pas in situ dans les dépôts du Miocène (Beauvilain A., 2008) ainsi qu'il
l'a été indiqué dans de nombreuses publications par des scientifiques
qui n'ont parcouru le site que des mois ou des années plus tard.
En fait cet holotype de Sahelanthropus tchadensis était associé à un ensemble de fossiles d'os d'animaux et d'hominidé(s)
dont la disposition indiquait qu'ils avaient été enterrés récemment
avant d'être mis au jour à nouveau par l'érosion éolienne avant
leur découverte en juillet 2001. Les documents photographiques
de la mise au jour de ce fossile ne laissent aucune place au doute
et viennent rappeler que la vérité du terrain s'impose aux spéculations
de laboratoire.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
- Beauvilain A. (2003) - Toumaï, l'aventure humaine. Paris, éd.
La Table Ronde, 239 p.
- Beauvilain A. (2008) - The contexts of discovery of Australopithecus bahrelghazali (Abel) and of Sahelanthropus tchadensis (Toumaï) : unearthed, embedded in sandstone, or surface collected
? S. Afr. J. Sci., vol. 104, p. 165-168.
- Lebatard A.-E., Bourlès D. L., Duringer P., Jolivet M ., Braucher R., Carcaillet J., Schuster M., Arnaud N., Mmonié P., Lihoreau
F., Mackaye H. T., Vignaud P. et Brunet M. (2008) - Cosmogenic
nuclide dating of Sahelanthropus tchadensis and Australopithecus
bahrelghazali : Mio-Pliocene hominids from Chad. Proc. Natl. Acad. Sci. USA, vol. 105, n° 9, p. 3226-3231.
- Vignaud P., Duringer P., Mackaye H. T., Likius A., Blondel C.,
Boisserie J.-R., De Bonis L., Eisenmann V., Étienne M.-E., Geraads
D., GUY F., Lehmann T., Lihoreau F., Lopez-Martinez N., Mourer-Chaviré
C., Otero O., Rage J.-C., Schuster M., Viriot L., Zazzo A. et
Brunet M. (2002) - Geology and paleontology of the Upper Miocene
Toros-Menalla hominid locality, Chad. Nature, n° 418, p. 152-155.
La datation de ce crâne par des méthodes autres que la biochronologie pose problème. Pour la datation par le béryllium 10 il faudrait disposer d’un gramme de matériau non perturbé. Le crâne ayant été préparé apparemment sans conserver soigneusement les dépôts qui le couvraient partiellement, il semblerait que ce soit les sédiments du lieu d’où il a été extrait qui ont été analysés. Chacun peut voir sur les figures 1 et 2 que le crâne n’a pas été déterré mais qu’il reposait lors de sa découverte sur des sables éoliens actuels.
De plus, s’agissant d’utiliser une nouvelle méthode, le calibrage des appareils n’a pu être effectué qu’en se fondant sur l’âge biochronologique des fossiles. Aussi il aurait été surprenant que le résultat de la datation soit différent des âges biochronologiques donnés au départ.
- Le Monde, Morin Hervé : 'Datation relative et absolue'. 5 septembre 2008.
- Le Monde, Morin Hervé : 'Toumaï, tempête autour d'un très vieux crâne'. 5 septembre 2008.